Ibrahim Boubacar Keita dit IBK a officiellement obtenu 77,61% des voix au second tour de l’élection présidentielle disputée le 11 août dernier. Une élection qui se passe bien est une élection dans laquelle il n’ya ni contestation ni violence, nous dit-on. Le candidat Soumaïla Cissé, en reconnaissant sa défaite avant même l’annonce des résultats officiels,
Ibrahim Boubacar Keita dit IBK a officiellement obtenu 77,61% des voix au second tour de l’élection présidentielle disputée le 11 août dernier. Une élection qui se passe bien est une élection dans laquelle il n’ya ni contestation ni violence, nous dit-on. Le candidat Soumaïla Cissé, en reconnaissant sa défaite avant même l’annonce des résultats officiels, a coupé court à tout risque de crise postélectorale. Tout est bien qui finit bien ? Pas si sûr…
LE PIÈGE DES ÉLECTIONS
Félicité par les Touaregs, par la France, l’Algérie, la Côte-d’Ivoire et toute la communauté internationale, IBK accède enfin à, 68 ans, à la magistrature suprême après une longue carrière qui le vit occuper les postes d’Ambassadeur (à Abidjan, Libreville, Ouagadougou et Niamey), de ministre des Affaires Étrangères, et de Premier ministre sous Alpha Oumar Konaré, puis de président de l’Assemblée nationale sous Amadou Toumani Touré. Aux yeux de la communauté internationale, ce score sans appel de 77,61% donne à IBK la légitimité pour gouverner le Mali et sortir ce pays plongé depuis déjà trop longtemps dans une profonde crise structurelle. Pourtant, ces élections placées sous le contrôle des militaires français dans les villes de Kidal et Gao, ne font que refléter cette même crise de confiance entre le peuple et les dirigeants. Peu évoqué, le taux de participation lors de ce second tour n’a pas dépassé les 45%. Au premier tour, il avait péniblement atteint 49%. On peut relativiser, à l’instar du président intérimaire Dioncounda Traoré, qui présentait ce taux comme un record dans l’histoire électorale du pays. Pour expliquer cette participation, des habitants de Bamako ont esquivé le problème en évoquant les fortes intempéries qui ont limité les déplacements dans les bureaux de vote du sud du pays. Outre les dysfonctionnements liés notamment aux personnes déplacées du nord, cette faible participation peut s’expliquer par la large avance d’IBK qui a recueilli au premier tour 40% des votes exprimés contre 20% à Cissé. Mais aussi par le sentiment que tout est joué d’avance. La quasi-totalité des candidats du premier tour se sont rangés derrière IBK, qui était déjà le candidat annoncé d’une coalition en 2012. Certains ont sans doute négocié leur part du gâteau, ou plutôt les miettes tombées de la table à laquelle l’impérialisme se régale.
L’HEURE DES RÉCOMPENSES
Dans les semaines précédant les élections, le président intérimaire Dioncounda Traoré a signé plusieurs contrats importants confiant à des entreprises étrangères des zones de prospection du sous-sol malien. Ces élections permettent donc d’entériner davantage l’accumulation par dépossession du peuple malien car il va de soi que qui dit exploitation du sous-sol dit expulsion des peuples qui vivent à la surface. Qui dit exploitation du sous-sol dit détérioration du milieu naturel au détriment des populations. Sans surprise, les actifs détenus par l’État malien sont bradés au moment où la vigilance du peuple est braquée sur les élections. Le Mali a perdu de sa souveraineté, de son intégrité, de son identité, mais rassurons- nous : le programme du président élu IBK souhaite faire du Mali « une puissance économique émergente à l’horizon 2017, basée sur cinq piliers : l’agro-industrie, les mines, le BTP le tourisme et les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). »
La participation peut s’expliquer aussi par une campagne électorale marquée par la présence de 27 candidats, rendant obscur tout débat de fond, et montrant surtout l’incapacité des deux finalistes à mobiliser ne serait-ce que la moitié de la population. Cela donne du crédit à tous ceux qui ont annoncé que ces élections ne pouvaient avoir lieu tant que des forces étrangères seraient positionnées sur le sol malien. Une fois de plus, tout citoyen a le droit de se présenter à une élection, mais celui qui est élu n’est pas nécessairement celui qui a un programme, mais celui qui est prêt à appliquer le programme de la communauté internationale.
Quel est, encore une fois, le programme du nouveau président ? Une chose est sûre, il ne dormira que d’un oeil. La veille de l’annonce officielle des résultats, le conseil des Ministres a décidé d’élever le capitaine Sanogo, l’auteur du putsch de mars 2012, au grade de général de corps d’armée. Cette décision surprend la société civile, et constitue une grave jurisprudence et un désaveu à l’égard de tous les patriotes qui appelaient à faire juger Sanogo par une haute cour militaire. Amadou Haya Sanogo, quarante ans, qui possède déjà le titre d’ex-président par intérim du Mali, tentera à n’en pas douter, de redevenir président du Mali dans l’espace des trente prochaines années. Cette issue est inéluctable sauf si les forces progressistes et panafricanistes qui ont assisté à la destruction du Mali se mettent en ordre de bataille et de résistance.
LA RECOLONISATION EN MARCHE
Le 11 août dernier, c’est avec le sentiment du devoir accompli que le général Grégoire de Saint Quentin a passé le relais de la Force Serval au général de division Marc Foucaud, ancien commandant de l’État-major des Forces n°1 (EMF 1) de Besançon. Savoir que trois jours ont suffi pour briefer le général Foucaud de toute la situation sur le terrain laisse songeur. Le choix de réaliser cette passation le jour même où les Maliens élisaient leur président est à la fois un acte de lèse-majesté de la part de la France, et une manière d’agir en catimini. De manière générale, la guerre invisible menée par la France et la fameuse et tragi-comique Force Africaine contre des groupes rebelles touaregs (MNLA) et djihadistes (AQMI, Ansar Dine, MUJAO) a été une double humiliation pour les Maliens en particulier et les Africains en général.
La peur et les actes barbares des groupes djihadistes ont fait fuir les populations du nord. Elles ont eu raison de sauver leur vie. Le désespoir a conduit une minorité de Maliens à accueillir avec soulagement toute force capable de venir rétablir l’ordre. Les caméras ont montré et remontré des images du président François Hollande accueilli comme un Gallieni du 21ème siècle. Propagande parfaite des médias et du pouvoir. Mais pour en arriver là, il a fallu que l’armée malienne se saborde, et que le président par intérim, revenu de Ouagadougou puis de sa convalescence parisienne, soit contraint de supplier la France d’intervenir.
La France, qui cherchait un motif pour se réimplanter militairement dans le Sahel, ne s’est pas fait prier. L’intervention militaire Serval était dans les cartons de l’Élysée depuis plusieurs années, pour des raisons d’intérêt stratégique (ressources minières et énergétiques, ressortissants tenus en otage). De la même manière que les « révolutions » arabes étaient un formidable prétexte pour agresser la Libye, le timing était idéal pour plonger le Mali dans la crise, et utiliser cette crise comme écran de fumée pour mieux recoloniser cette partie du continent. L’installation des forces américaines et otanistes est également en cours depuis le renversement de Kadhafi, et la Chine sillonne la région à la recherche d’opportunités commerciales. De par sa position centrale, qui lui a valu dans le passé précolonial d’être une grande puissance africaine, le Mali est, avec le Congo, le Tchad et la Centrafrique, un maillon stratégique pour dominer l’ensemble du continent. L’intervention française a donné naissance à la Mission des Nations-Unies de soutien au Mali (MINUSMA). Constatant que la majorité des postes-clés sont confiés à des étrangers, les pays africains regrettent déjà d’avoir accepté à contre-coeur la MINUSMA .
IBK, LE NOUVEAU CHEVAL DE TROIE ?
Le Mali d’aujourd’hui est très clairement sous tutelle internationale, et les difficultés rencontrées par la diaspora malienne au moment de l’organisation des élections sont révélatrices d’une volonté d’empêcher toute interférence de nature contestataire venue de l’extérieur. Aucun grain de sable ne doit venir perturber le projet de recolonisation, et ce projet doit être validé par des dirigeants démocratiquement élus aux yeux de la communauté internationale. Les peuples africains ont encore trop de timidité à se satisfaire de présidents mal élus. Quant à la diaspora, elle a le désavantage d’être loin des yeux, mais elle est proche du coeur. Les populations du nord du pays sont, elles, sous les yeux et dans le coeur de la nation malienne. Leur sort sera un élément critique dans la gestion du nouveau régime. Le positionnement du nouveau président, nous le prédisons, sera celui d’un politicien qui cherchera à gagner du temps. Là réside son seul pouvoir d’homme d’État tant qu’il rechignera à s’affranchir des vieilles alliances qui enchaînent le peuple malien. Ce même peuple a montré sa dignité dans l’épreuve. Il n’en est pas à sa première « révolution ». Mais aura-t-il encore la patience d’attendre et de supporter une nouvelle désillusion ? La réponse dépend de l’émergence d’un courant panafricain capable de refonder la grandeur du Mali dans un ensemble continental.
Par Amzat Boukari-Yabara PANAFRIKAN SEPTEMBRE-NOVEMBRE2013