La crise électorale qui a éclaté en Côte-d’Ivoire à la fin de l’année 2010 s’est soldée par le bombardement du palais présidentiel par les forces françaises et l’enlèvement de Laurent Gbagbo manu militari pour être déporté en définitif au Tribunal Pénal International de la Haye. Ces évènements et cette énième intrusion de la France dans
La crise électorale qui a éclaté en Côte-d’Ivoire à la fin de l’année 2010 s’est soldée par le bombardement du palais présidentiel par les forces françaises et l’enlèvement de Laurent Gbagbo manu militari pour être déporté en définitif au Tribunal Pénal International de la Haye. Ces évènements et cette énième intrusion de la France dans son style colonial ont choqué tout un continent et ont réveillé bien du monde : 50 ans après sa soi-disant indépendance, la Côte-d’Ivoire est encore aux mains de l’impérialisme occidental.
UNE RÉSISTANCE DÉTERMINÉE
La crise ivoirienne a marqué un nouveau réveil de l’opinion africaine contre la domination occidentale, en particulier française sur le continent. Bien sûr la mobilisation ivoirienne est déjà très forte, avec des manifestations partout dans le monde, qui ont rassemblé hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, battant le pavé sous le soleil, sous la pluie, dans le froid, dans la neige, dans la grêle, allant même jusqu’à encercler le tribunal de La Haye ! L’autre versant de cette résistance, ce sont les milliers d’Africains qui se sont ralliés à cette cause à travers le Continent et la Diaspora. Main dans la main, Ivoiriens, Camerounais, Congolais, Maliens, Togolais, Africains-Antillais, et plus encore, se sont organisés pour protester contre l’agression coloniale et pour la libération de Laurent Gbagbo, ainsi que celle de tous les autres prisonniers politiques. Le gouvernement français, en voulant remettre les chaînes à l’un des pays qu’il considère comme sa chasse gardée, a réveillé les autres qui dormaient et qui le regardent maintenant avec des yeux pleins de colère et de révolte.
DES REVENDICATIONS URGENTES
Les aspirations du peuple ivoirien, et des peuples africains en général, ne sont pas belliqueuses ou dirigées particulièrement contre les Occidentaux, ni contre quiconque d’ailleurs. Il s’agit principalement de revendiquer le droit à se gouverner soi-même, sans subir l’ingérence et l’intrusion étrangères. Il s’agit de ne pas se faire bombarder quand notre choix de vote ne plaît pas à telle ou telle puissance occidentale. Aujourd’hui toutes ces revendications se cristallisent au sein de la résistance, dans l’exigence de libération du président Laurent Gbagbo ainsi que de tous les prisonniers politiques.
Les revendications portent aussi sur le rétablissement de l’État de droit démocratique en Côte-d’Ivoire où l’arbitraire s’est installé en maître, où un mot trop franc peut vite vous envoyer en prison, où des populations entières à l’ouest du pays sont attaquées et chassées de leurs terres par des bandits armés, où l’on ose parler ouvertement d’une politique de « rattrapage ethnique » et l’appliquer. Ce sont là des revendications fondamentales, urgentes et dont les pouvoirs publics de Côte-d’Ivoire devraient se saisir avec vigueur car leur devoir est de protéger la population et de créer les conditions de la démocratie, de l’ordre et de la justice.
PROBLÈMES DE FOND À RÉSOUDRE
La question qu’on peut néanmoins se poser aujourd’hui est la suivante : « Gbagbo libre, mais après ? ». En effet, même si le président Gbagbo ainsi que tous les prisonniers politiques recouvraient demain la liberté, ce qui est en soit un objectif important, la Côte-d’Ivoire serait toujours entre les griffes de la FrançAfrique. Il est urgent aujourd’hui que la résistance ivoirienne se structure idéologiquement au-delà des revendications immédiates pour proposer des changements en profondeur qui pourront permettre au pays de sortir du trou dans lequel il est tombé. Tout d’abord, il est important pour tous les mouvements politiques qui se réclament de la résistance, en particulier le FPI, de clarifier officiellement leur position et d‘articuler un programme clair sur ces questions fondamentales : le départ de toutes les forces militaires étrangères qui sont des éléments de déstabilisation ; la sortie du franc CFA qui est un système de pillage et de domination économique organisé par la France ; le développement d’un réseau bancaire véritablement national ; la sortie de la francophonie et l’utilisation progressive des langues nationales comme langues d’administration, de médias et d’enseignement – car il est vain de croire qu’on peut se décoloniser en restant dominé culturellement ; d’autres sujets structurants sont à solutionner à l’image de la question du foncier et du code de la nationalité.
Ces deux problématiques sont les véritables leviers du conflit actuel sur lesquels les politiciens ont joué pour obtenir ou conserver le pouvoir, en particulier les régimes Bédié et Ouattara. Tout d’abord le développement du concept creux de l’ivoirité et sa mise en application par Alassane Ouattara, à travers la création de la carte de séjour et les rafles d’étrangers au début des années 1990, a tout simplement exacerbé le tribalisme dans la société ivoirienne ainsi que la xénophobie. L’exploitation plus ou moins ambiguë de ce concept a continué avec les régimes suivants et peut se retrouver aujourd’hui au sein des cercles de la résistance. Ce qu’il faut néanmoins bien comprendre, c’est que tant que nous resterons dans le cadre des frontières, des identités et des pays fabriqués par les colons, nous ne pourrons jamais être libres et résoudre les problèmes de fond.
En effet, la Côte-d’Ivoire compte aujourd’hui entre 20% et 30% de résidents provenant des pays voisins et frères. Que compte faire la résistance à ce sujet ? Adopter une politique hostile mènera, exactement comme ce qui se passe aujourd’hui, à leur instrumentalisation par la France via les pays voisins dans une politique « de diviser pour régner ». La division entre Ivoiriens et entre Ivoiriens et frères africains en Côte-d’Ivoire est l’arme la plus puissante de la France, loin devant les chars, les hélicoptères et les milices tribalisées qui composent en majorité les FRCI (Forces Républicaines de la Côte d’Ivoire) aujourd’hui.
RÉSISTANCE FÉDÉRATIVE
Il est donc urgent que les patriotes ivoiriens et africains dépassent aujourd’hui le cadre du micro-nationalisme et embrassent le Panafricanisme véritable de Kwame Nkrumah et de Cheikh Anta Diop. Ce véritable Panafricanisme ne parle pas d’intégration africaine, non, il exige la fédération africaine ! Tant que nous resterons dans nos micro-États, la France ou n’importe quelle autre puissance, ou multinationale, pourra instrumentaliser les pays voisins pour déstabiliser un État officiellement souverain. La souveraineté ne vient pas de la force avec laquelle on la proclame, mais de la force politique, économique, militaire et culturelle qu’on détient effectivement. Seule une fédération politique africaine peut aujourd’hui être assez forte pour tenir tête aux puissances étrangères qui convoitent les richesses africaines et se servent justement du fait que nous soyons séparés pour s’imposer.
Seul un gouvernement fédéral africain peut mettre fin aux coups d’États intempestifs, aux massacres de populations par des bandits armés d’où qu’ils viennent. Par exemple, dans une Fédération africaine, il sera tout à fait impossible pour les gouvernements du Burkina Faso et de Côte-d’Ivoire d’encourager l’instabilité et les massacres dans l’ouest ivoirien car il n’y aura plus d’armée Burkinabé ni de FRCI mais une seule armée fédérale africaine et impartiale . Dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, il est urgent que la résistance ivoirienne comprenne vite l’intérêt de transformer la CEDEAO, qui prône à ce jour l’intégration économique à ce jour, vers le Panafricaisme. La doctrine de la CEDEAO postule que le développement économique serait avant tout un problème économique ce qui signifie que la coopération peut se développer, sans tenir compte des perspectives communes partagées par les gouvernements membres et les peuples.
Les réponses qui rendent plausible un gouvernement fédéral s’activent autour d’une économie forte, une armée fédérale unique, patriotique, puissante et bien formée, ainsi qu’une nationalité et un passeport ouest-africains. Divisés nous sommes faibles, unis nous sommes forts. Nous ne le répéterons jamais assez ! En 1977, Cheikh Anta Diop écrivait : « Que les leaders africains y aient travaillé ou pas, le fait est qu’une fédération continentale demeure une nécessité vitale pour tous les peuples africains. A mon avis, c’est la condition fondamentale pour notre survie collective. Plus le temps passe, plus on verra que nous devons soit créer une fédération continentale ou tomber dans une anarchie généralisée et endémique. En fait nous y sommes déjà… ». Frères et soeurs, patriotes africains, les vraies solutions à nos problèmes politiques et économiques ont été expliqués depuis plus de cinquante ans par Kwame Nkrumah et Cheikh Anta Diop. Qu’est-ce qu’on attend pour les appliquer ?
Par Ismael SOW PANAFRIKAN SEPTEMBRE-NOVEMBRE2013