Texte complet de l’intervention : Intervenant : Par Henda Diogène SENNY, Secrétaire Général de la Ligue Panafricaine – UMOJA (LP-U) Remerciements, Chères Sœurs, Chers Frères, Chers Participants, Je voudrais, avant tout, féliciter les organisateurs de cette conférence de nous avoir associé, nous la Ligue Panafricaine – UMOJA, à cette réflexion. Je vous félicite, en tant que militant,
Texte complet de l’intervention :
Intervenant : Par Henda Diogène SENNY,
Secrétaire Général de la Ligue Panafricaine – UMOJA (LP-U)
Remerciements,
Chères Sœurs, Chers Frères,
Chers Participants,
Je voudrais, avant tout, féliciter les organisateurs de cette conférence de nous avoir associé, nous la Ligue Panafricaine – UMOJA, à cette réflexion. Je vous félicite, en tant que militant, pour le courage, pour le sacrifice du temps et de l’énergie mise au service de nos communautés.
I. Introduction
Après le film « Retour à Gorée », qui nous a plongé au cœur du drame, sans nom, que fut l’esclavage, je vais tenter de parler de ses conséquences sous diverses formes, sur les descendants des victimes tant sur le continent africain que dans les zones concentrationnaires des Amériques. Je précise cependant que je vais m’appesantir sur le continent africain.
Disons que la question sur les conséquences de la traite négrière et de l’esclavage, ne devait même pas se poser car comment imaginer qu’une tragédie de cette ampleur tant par la profondeur que par la durée, ne puisse ne pas impacter longtemps après son abolition, les descendants des victimes de cette tragédie, et disons-le, même les descendants des bourreaux.
Déjà en 1954, dans l’ouvrage « Nations Nègres et Cultures », Cheikh Anta Diop établissait plusieurs tendances d’Africains, parmi lesquelles deux grandes catégories suivantes : les cosmopolites-scientistes-modernisants et les anti-nationalistes formalistes.
Les unes, c’est-à-dire les cosmopolites-scientistes-modernisants, considèrent que le passé chaotique et barbare des Africains ne doit pas être fouillé, il faut rejoindre le monde civilisé et du progrès technique pour accélérer le développement.
Quant au second groupe, les anti-nationalistes formalistes, il se montre hostile à toute idée de souveraineté, alors que paradoxalement l’Afrique ploie sous le régime colonial. Leur crédo est l’interdépendance des nations.
En réalité, ces deux catégories posent à la fois la question de la Culture et du Développement, mais aussi du lien étroit entre ces deux concepts. L’évitement de se référer au passé africain et la peur de revendiquer sa souveraineté ne sont autre que la réussite de l’aliénation culturelle savamment inoculée chez ces peuples durant les siècles d’esclavage et plusieurs décennies de la colonisation.
Or, dans le monde civilisé et moderne, c’est-à-dire l’Occident, qui leur sert de référent, l’on soigne bien son passé tout en développant le progrès. Par ailleurs, ce même Occident chante l’interdépendance tout en faisant la Colonisation et la domination réelle des autres peuples dans la plupart des institutions internationales.
Je ne vais pas être long étant donné que le temps qui nous est imparti, ne permet pas d’épuiser le sujet. Je vais tenter de présenter les conséquences de l’esclavage encore présentes de nos jours, dans deux domaines essentiellement, à savoir : l’identité culturelle et le développement, tel que représenté chez les cosmopolites-scientistes-modernisants et les anti-nationalistes formalistes.
Le choix de ces domaines se justifie dans le sens où le développement ne se ramène pas juste à des paramètres économiques, mais nécessite de mobiliser toute une dynamique des valeurs culturelles d’un peuple.
II. Conséquence de l’esclavage sur l’identité culturelle
Définissons d’abord ce que l’on entend par identité culturelle ?
Pour toute communauté humaine, l’identité culturelle est un sentiment de cohérence et de sécurité culturelle qui rendent les hommes et les femmes conscients de leurs valeurs culturelles : histoire, mémoire collective, langue, psychologie collective, valeurs morales, confiance dans l’avenir, etc ; loin de cet égoïsme collectif qui engendre la haine et le rejet de l’Autre au nom de l’identité nationale.
Or, la mémoire historique collective, support essentiel de l’identité culturelle, des descendants des victimes de l’esclavage a été profondément atteinte par la traite négrière et la colonisation, sans qu’il n’y ait eu l’entreprise de restauration de la Conscience Historique nécessaire après un tel drame.
Rappelons-le, de Montaigne (1533-1592) auteur des « Essais » en 1580, jusqu’aux racismes du XXème s., en passant par David Hume (1711-1776) autour du livre « Le Non-Civilisé et nous », Kant (1724-1804), Lessing (1729-1781), Fiche (1762-1814), Hegel (1770-1804) à Armand de Quatrefages de Bréau (1810-1892) jusqu’aux Ethnologues modernes de la colonisation, une véritable idéologie basée sur la sous-humanité des Noirs était en marche en vue de justifier au nom de la Civilisation européenne « supérieure », la mise en esclavage des Noirs.
Mais de tous ces apologistes, deux noms néanmoins se dégagent et qui ont influencé profondément les dominants de la période esclavagiste. Il s’agit de Georg Wilhelm Hegel et du Comte Joseph Arthur de Gobineau.
Hegel (1770-1831), l’un des premiers penseurs à avoir donné une interprétation rationnelle de l’histoire dans son ouvrage « La Raison dans l’Histoire », dans sa « Totalité Historique », il exclut l’Afrique par conséquent le Noir de l’Histoire universelle du fait du climat. Il écrit dans la Raison dans l’Histoire, je cite :
« Le gel qui rassemble les lapons ou la chaleur torride de l’Afrique sont des forces trop puissantes par rapport à l’homme pour que l’esprit puisse se mouvoir (…) » P. 220-221
Ce qui caractérise en effet les Nègres, c’est précisément que leur conscience n’est pas parvenue à la contemplation d’une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi (…) P. 251
Enfin, Hegel ajoute, l’Afrique est :
Un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel (…) » P. 269. Fin de citation.
Gobineau (1816-1882), esprit foncièrement dogmatique, alors que Hegel exclut l’Afrique de l’Histoire universelle pour cause de climat chaud, pour Gobineau, c’est carrément la couleur de peau des Africains qui explique leur sous-humanité. Dans son ouvrage « Essai » sur l’inégalité des races humaines, il écrit, je cite :
(…) l’inégalité des races suffit à expliquer tout l’enchaînement des destinées des peuples
La variété mélanienne est la plus humble et gît au bas de l’échelle. Le caractère d’animalité emprunt dans la forme de son bassin lui impose sa destinée, dès l’instant de la conception. P. 368., Fin de citation.
Ainsi, l’Esclavage avait un lubrifiant idéologique et pseudo-scientifique savamment inoculée au Peuple par l’éducation et de génération en génération car Hegel était un universitaire très influent de son époque et Gobineau était un diplomate très écouté dans le monde politique européen.
Ce même lubrifiant idéologique a accompagné aussi l’œuvre coloniale qui n’est que la conséquence directe de l’esclavage.
Pour mémoire, deux personnages cristallisent ce continuum idéologique, il s’agit de :
Jules Ferry (1832-1893). Éminente personnalité de la gauche française et considéré comme le « père de l’école de la république », Jules Ferry s’illustrait par des déclarations pro-colonialistes absolument scandaleuses. Par exemple, il affirmait au Parlement, le 28 juillet 1885, alors que les travaux forcés, les expéditions punitives, les viols étaient monnaie courante dans les colonies, que, je cite :
La Déclaration des Droits de l’Homme n’avait pas été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale. Fin de citation.
L’autre personnage est le Roi belge Léopold II, « propriétaire » du Congo rivalisant presque avec Jules Ferry. En s’adressant aux missionnaires en 1883 sur le départ pour l’Afrique, Léopold II déclare ceci, je cite :
Évangélisez les Nègres à la mode des Africains, qu’ils restent toujours soumis aux (…) Blancs. Qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que ceux-ci leur feront subir…, Fin de citation.
Le déni et l’infériorisation de la culture et des civilisations africaines au profit des référents culturels et historiques des dominants, a créé chez les descendants victimes de l’esclavage et de la colonisation des attitudes tendant à se déprécier. Nier son passé donne l’impression d’une marche en avant alors qu’il s’agit en réalité d’un piétinement dangereux.
Venons-en aux conséquences de l’esclavage sur le Développement.
III. Conséquence de l’esclavage sur le Développement
Au-delà de la croissance des agrégats macro-économiques, en règle générale, le développement est défini comme l’ensemble des mutations positives dans les domaines techniques, démographiques, sanitaires, sociaux, etc.
Or, à la fin de l’antiquité soudano-égyptienne, les Etats africains du Moyen-Âge avaient surgi progressivement, à savoir : Ghana, Mali, Songhay, Etats haussa, Ashanti du Ghana, l’empire de Morho Naba des Mossi (More), les royaumes Baoulé, les royaumes de Hogbonou ou Adjachais (actuel Porto-Novo) et d’Abomey, les royaumes des Yoruba et des Edo (Bini), le royaume des Bamiléké (Njoya), les royaumes de Loango, de Makoko (Onkoo) de Mbé, de Kongo (Mbanza Kongo), de Matamba au Ndongo (reine Nzinga), des Kuba entre Kasaï et Sankuru, l’empire des Luba du Kasaï, des Lunda, le royaume des Lozi de la Zambie méridionale, le Grand Empire de Mwana Mutapa (Monomotapa), l’empire des Zulu (Chaka), les royaumes interlacustres (Burundi, Bunyoro, Buganda, Rwanda…) ainsi que toutes les autres formes d’organisations politiques à travers le continent.
Ces diverses formations sociales africaines étaient des hauts lieux de civilisation, de savoir et de prospérité d’après les témoignages de ceux qui les avaient visitées. La traite négrière et l’esclavage sont venus arrêter cette expérience historique. Car la ponction humaine a retiré à l’Afrique ses forces vives sociales et économiques. Cette population razziée et déportée était composée d’experts en agriculture, des artisans, des chasseurs, des bûcherons, des médecins dits nganga, des philosophes, des sages, etc.
Leur départ continu et permanent pendant plusieurs siècles a donné un coup d’arrêt au cycle normal de l’évolution de ces formations sociales. De l’arrêt, elles ont commencé à s’appauvrir. Les Africains sont devenus les forces de développement de l’Occident alors que leurs propres pays s’appauvrissent faute de forces de production. Nous assistons déjà à la première forme de la monoculture. Le continent africain est condamné à la monoculture du bois d’Ebène, abandonnant ainsi l’agriculture, l’élevage, la métallurgie et tout ce qui est nécessaire au développement logique d’une société.
Il convient de noter que l’affaiblissement des forces et moyens de défense des Sociétés africaines par le système esclavagiste a permis aux puissances occidentales de briser facilement les résistances afin d’exercer la Colonisation. Il y a donc un lien entre l’esclavage et la colonisation. L’une est la conséquence de l’autre.
Cependant, si la Colonisation change la manière d’exploiter l’Afrique en fixant les populations sur place, la finalité est la même. L’administration coloniale, s’appuyant d’abord sur les Sociétés concessionnaires et les Sociétés à charte, ensuite directement, criminalise les populations qui ne s’adonnent pas aux travaux forcés utiles aux industries occidentales. Encore une fois, bien que les ponctions humaines se sont arrêtées, les forces de production africaines ne travaillent que pour la prospérité de l’Occident.
La Décolonisation formelle des années 1960, ouvre la voie à une nouvelle Colonisation déguisée nommée le Néocolonialisme hier ou la Françafrique aujourd’hui. Dans ce nouveau cadre, l’Afrique est devenue la pourvoyeuse mondiale des minerais et autres ressources naturelles. Chaque pays est à peu près spécialisé dans la production de quelques produits bruts. Encore une fois la monoculture persiste, avec une aggravation caractérisée dans l’extraversion de l’économie africaine.
En Conclusion
L’esclavage et la traite négrière ont causé des dommages non seulement sur le plan de la personnalité africaine, mais aussi sur les capacités de développement de l’Afrique au point même où les Africains travaillent pour la prospérité des autres et donc pour leur propre sous-développement. Comme dirait Samir Amin, c’est le développement du sous-développement.
Mais nous sommes convaincus que la fin de l’histoire n’est pas arrivée pour les Africains malgré ces tragédies. Les Africains ont entrepris de restaurer leur Conscience Historique afin d’organiser leur Renaissance. Sans la restauration de la Conscience Historique c’est-à-dire la conscience de participer à l’histoire, de faire l’histoire, d’en être le sujet et non l’objet, la Renaissance Africaine ne se fera pas.
Ainsi, des cales des bateaux, des plantations de canne à sucre dans les camps de concentration des Amériques, les Africains ont développé une théorie de la résistance que l’on nomme, le Panafricanisme.
Le Panafricanisme est donc cette idéologie proprement africaine, issue de sa longue histoire douloureuse et qui se propose de créer les conditions politiques, économiques, culturelles, etc afin de mettre l’Afrique à l’abri des impérialismes d’aujourd’hui et de demain qui ne cessent de la menacer.
C’est donc cette idéologie de libération qui constitue le fondement politique de notre organisation, la Ligue Panafricaine – UMOJA.
Umoja Ni Nguvu
Je vous remercie !